<h1>Noelfic</h1>

[Confédération][1] Alter Ego


Par : Gregor

Genre : Science-Fiction

Status : Terminée

Note :


Chapitre 5

4.

Publié le 22/07/12 à 17:50:44 par Gregor

L’I.A. de Febus Drust se révéla plus qu’efficace. La porte sécurisée du sas ne s’aperçut jamais qu’on l’avait piratée, vu qu’elle n’enregistra aucun mouvement. Là où même une mouche n’aurait pu rester inaperçue, j’étais devenu parfaitement invisible, brouillant jusqu’au traceur incorporé dans ma puce de combat. Personne ne pourrait me retrouver, et c’était mieux ainsi.
Le sort réservé aux déserteurs était encore pire que celui infligé aux traitres, et même la mort au combat me semblait plus douce.
Si un soldat avait le malheur de m’identifier et de me capturer, il ne me restait plus qu’à me suicider rapidement. Les déserteurs étaient souvent considérés comme « aptes à combattre », et ils finissaient dans une cave anonyme, torturés jusqu’à la folie, tellement brisés qu’ils en perdaient toute notion de réalité, finissant par vouer une allégeance totale à un sergent sanguinaire. Un autre aspect des escadrons de la mort, plus terrible encore.
Autant dire que je ne souhaitais en aucun cas me retrouver dans cette situation surréaliste. La discrétion resterait mon plus gros atout.
La nuit était belle. Les nuages diffusaient une clarté mauve, reflet des lampes de la ville. Là-haut, on ne devait plus ressentir la peur ni la douleur. Car à minuit passé de vingt minutes, voilà où j’en étais.

Perdu, totalement.

Le boulevard Sébastopol saignait le quartier du nord au sud. Vingt ans auparavant, c’était l’une des artères routières de la capitale, mais à présent, les cadavres d’antiques voitures, les arbres abattus et les carcasses calcinées de quelques chars d’assaut urbains en bloquaient la plus grande partie. La voie idéale pour fuir loin d’ici.
Mon monde s’écroulait, chutant lentement dans les abîmes de la culpabilité et de la déraison. Personne, jamais personne ne s’était ainsi joué de moi. Personne ne m’avait à ce point trahi. Dieux ou diables, qui que vous soyez, venez-moi en aide. Le silence rendait fou, et tandis que je fuyais loin vers le nord, je sombrais vers cette folie.
Cette douce folie animale, couleur sonore aux mille chatoiements, me faisant oublier jusqu’à l’essence de mon humanité, jusqu’à la cause de ce délire psychopathologique. Des gens me parlèrent, sur ce long boulevard. Des militaires je crois, mais leurs mots étaient aussi creux que le silence de la neige. Ah, la neige ! Sombre luminescence, qui noyait le monde d’une douceur glacée, abrutissant ma volonté, me poussant dans une ruelle anonyme et crasseuse, où je chutai dans un rêve millénaire ...

— Est-ce qu’il est mort ? Demanda une voix enfantine.
— Il n’y a qu’un seul moyen de le savoir ... Répondit un autre enfant.
Un violent coup de pied de biche sur le flanc gauche me relança en pleine réalité. Je me levai d’un bond, empoignant l’auteur du geste d’une main brusque et froide. Il suffoqua.
Nos regards se croisèrent, et je compris soudain. Ma main se desserra, il tomba au sol, son petit camarade se jeta sur lui.
— ‘Kael ! ‘Kael ! Cria-t-il.
Des larmes roulèrent sur ses joues. Il serra les poings, me regarda avec violence. Sa bouche s’entrouvrit, prête à hurler sa colère, mais il se ravisa quand ses yeux dérivèrent sur les grades gravés sur mon armure. Alors, résigné, il attrapa celui qu’il appelait ‘Kael et s’éloigna sans regarder derrière.
La lumière du ciel était changeante. Lorsque je consultai l’heure sur mon visuel, je remarquai que la date était erronée. « Cinq février deux mille quatre-vingt-dix » clignota un court instant, avant de disparaitre, et qu’un chek-up rapide ne remonte un diagnostic sévère.
« Bouffée délirante aiguë. Traitement par neurostimulation en cours. Contactez rapidement un médecin spécialisé ».
Je restai planté au milieu de la ruelle, stupéfait. J’étais devenu fou.
Rien n’aurait pu me toucher autant que cette nouvelle. Mon moral venait d’être atteint dans ce qu’il pensait le plus stable possible. Les larmes affluaient, je les retenais, ne pouvant pas me permettre de gâcher la précieuse eau de mon corps. La folie la plus brutale m’avait coupé de la réalité pendant près de cinq jours, et sans ces gamins, je serais sûrement mort. Le générateur tournait plus que nécessaire pour maintenir une température corporelle stable, et la peau de mon visage était aussi dure que du carton. Des engelures, probablement, mais la morphine reléguée par l’interface médicale empêchait la douleur de se révéler.

Je fis quelques mètres, et défonçai une porte à moitié vermoulue. Il s’agissait d’une entrée de cour, visiblement abandonnée depuis le début de la guerre civile. L’épais manteau de neige dissimulait sûrement une large couche de crasse, encore accrochée aux fenêtres du rez-de-chaussée et sur quelques murs protégés des vents dominants. Les rares portes de l’immeuble semblaient toutes verrouillées. Personne n’avait donc dû visiter l’endroit, qui m’apparaissait dès lors comme un abri idéal.
La lourde planche de mélaminé la plus à droite du bâtiment subit le même sort que sa consœur de la cour. Elle vola en une pluie d’échardes, qui se répandirent dans la poussière d’un couloir.
Un calme insolent tenait l’endroit. Quelques appartements étaient restés ouverts, à peine vidés de leurs mobiliers. Les occupants avaient précipitamment quitté les lieux, n’emportant que le strict nécessaire. Le reste s’étalait sous mes yeux.
D’un hasard bien décidé, je choisis le premier logement ouvert pour me reposer quelques minutes. Mes pas, lourds, s’imprimaient dans le champ gris et floconneux d’une poussière vieille de trois ans, et le parquet s’insurgeait en grinçant que mes cent soixante-dix-neuf kilos le fassent tant travailler.

Ce ne fut qu’une fois assis dans la saleté d’un canapé humide de champignons aux couleurs délavées et bavantes que je réalisai l’horreur de ma situation. Bien plus que de m’avoir tué, la folie avait foré dans mon esprit un gouffre sans fond qui achevait de briser les rares ressources mentales capables de me maintenir au niveau de la réalité.
J’étais parfaitement incapable de survivre plus de soixante-douze heures ainsi. Maintenant, je le savais.
Une simple intuition ne m’aurait jamais conduit à cette triste conclusion, et ce fut le message orangé d’une erreur générale de système qui m’alarma. Le générateur ne retrouvait pas une stabilité dans les normes raisonnables, et surchauffait lentement mais sûrement. La partie droite de mon visage avait brûlé dans le froid. Même s’il y avait quelques médicaments lâchés dans le faible flot sanguin qui irriguait encore les parties organiques de mon corps, rien ne pourrait enrayer une gangrène à court terme.
Chose plus étonnante, l’interface non régulière de Febus avait stocké en mémoire la totalité de mes capacités intellectuelles, avant de les restituer au moment de mon réveil.
Sans elle, je n’aurais pas survécu jusqu’ici.
J’eus une pensée reconnaissante envers le cybernéticien, me promettant de le sortir de cette guerre où il croupissait sans pouvoir pleinement exercer son art.

Mais à présent, j’étais l’un des pires traitres de l’armée française.

Sans Prancard, jamais je n’aurais dû fuir. Des renforts auraient équilibré la situation, sauvant par la même Carier et une bonne partie des hommes de ces trois unités. La réalité n’était pas aussi optimiste.
Me rendre n’arrangerait pas mon cas. Mieux valait que je désactive tout de suite mon générateur plasma, sans souffrir.
Le manque de solution n’améliorait pas mon humeur, et je soupirai tristement.
Un sourire cruel mordit mes lèvres, après quoi, je me laissai tomber en arrière. Le canapé s’affaissa bruyamment en craquant et en grinçant. Dormir m’aurait fait beaucoup de bien. Mais dormir, c’était s’avouer vaincu.

La nuit retomba doucement, illusion bercée des relents mauves d’un crépuscule dégagé. J’étais apathique lorsque je me réveillai, la douleur de la blessure lançant par intermittence ses traits électriques dans la chair de mon visage.
Il me fallait une solution, et rapidement. Un nom, un lieu, n’importe quoi ferait l’affaire pour me sortir de l’impasse, du moment que je survivais jusqu’au mois prochain. Survivre, oui, mais pour quoi faire ? Par envie de s’accrocher ou par peur de la mort ?

La question était délicate, et, d’un mouvement automatique, je me dirigeai vers le couloir, puis l’extérieur de l’immeuble, obnubilé par une réponse trop peu évidente. Vivre, risquer sa peau, c’était accepter le jeu de tout militaire, humain ou cyborg. Le refuser, c’était nier ce qui faisait la force d’une guerre. Nier ce choix, c’était nier la mort elle-même. C’était abandonner la peur de disparaître au profit de quelque chose de plus grand.
Ce quelque chose ne se présentait encore à moi que sous la forme trop vague et floue d’un nuage de poussière, m’entrainant plus loin dans la cour, poussant mes pieds d’acier vers le porche et la ruelle plongés dans la nuit. Personne ne se présenta devant moi, c’était tant mieux. Je n’avais pas le cœur à discuter, encore moins l’envie d’être identifié si l’armée s’était mise à ma recherche. Plus aucune information des mouvements militaires ne filtrait jusqu’à mon terminal informatique, et si j’avais tenté de griller les sécurités entourant les secteurs cryptés du Rezo, j’aurais signé mon arrêt de mort.
Et pourtant, ce fut un homme bien en vie qui me tira des tréfonds de ma pseudoréflexion. Un pauvre bougre, en haillons et mèches blanchies sur un visage tanné par le vin rouge, qui titubait au rythme d’une chanson silencieuse, et qui avait échoué en un choc sourd contre mon poitrail. Le carboacier tinta clairement, d’une note presque mélodieuse dans la nuit. Je détournai mon regard vers le sol, me confrontant à deux grands puits clairs malgré les ténèbres alentour. Ma vision augmentée possédait parfois une poésie étrange, et ces deux yeux me réchauffèrent le cœur.
— P ... p ... pardon, m ... monsieur, bégaya-t-il.
Trop saoul pour se rendre compte de quoi que ce soit, il s’apprêta à reprendre sa chorégraphie des ombres, mais je l’interpelai.
— Hé, l’ami ! Connaîtrais-tu quelqu’un pour une vilaine blessure ?
Il me regarda, pitoyable de sincérité, la voix embuée d’une liqueur acide.
— Y’a bien le Corbeau, un peu plus haut... Vous continuez vers le nord, il doit bien y être que’qu’part, vers Montmartre. Il donne pas ses tarifs, mais au moins, il soigne.
Il retira son bonnet de marin, laissant voir une large plaque de métal sur une partie de son crâne.
— Un grand balai, enchaina l’homme. Chauve ... les yeux méchants ... Un requin, c’t homm, mais un requin qu’en a sauvé plus d’un ...
— Et contre un paquet d’euros, parlerais-tu plus ?
— Trop fatigué pour ça, monsieur. J’causerais bien, mais le vin m’tord l’esprit.
Je lui fis un signe de main, mais il était déjà reparti vers le néant de la nuit.
Un médic’ foireux, c’était la seule chose que consentait donc à me donner le hasard. Tant pis, je ferais avec.

Un cabinet de rue ne se résumait souvent qu’à un compte bancaire hébergé dans un de ces nouveaux paradis fiscaux sibériens ou canadiens, et à une interface de diagnostic médicale plus ou moins perfectionnée.
Parfois, il n’y avait même pas de matériel, et seul l’argent circulait.
En l’occurrence, il ne s’agissait guère plus que d’une cave, quelque part sous un de ces immeubles haussmanniens encore debout, vue sur Montmartre avant la guerre. La cave, elle, n’avait aucune vue, si ce n’est les rares planches d’anatomie humaine, vieillissantes, pendant aux murs de chaux pour donner un semblant de sérieux. Une table en formica, renforcée de tiges d’acier, devait servir lorsqu’une auscultation un peu plus poussée s’avérait nécessaire.
J’eus la stupidité de me dire que c’était aussi sur ce genre de table que bien des terroristes rendaient leur dernier souffle, blessés à mort. Cette pensée me dérangea.
Je regrettais presque le médecin militaire de l’Hôtel de Ville lorsque mon sauveur surgit d’une porte branlante, le regard malsain. Une chemise passablement jaunie de sueur couvrait un corps maigre, presque fantomatique tant il était démesurément grand. Une main osseuse, gonflée de veines tortueuses et piquetée d’impacts d’aiguilles s’approcha de la mienne, la serrant mollement.
— C’est pour quoi ? Commença-t-il d’une voix stridente.
— Ça, répondis-je en me tournant sur le côté et en laissant tomber le bout de chiffon qui couvrait ma joue droite.
Il s’avança, siffla sans scrupule, avant d’enfiler une paire de gants et de commencer à palper l’énorme engelure qui me défigurait.
— Douloureux ?
— Pas trop.
Il resta silencieux, continuant son travail de prospecteur, calculant sûrement l’énorme paquet de fric qu’allait coûter le traitement d’une telle plaie.
— Et l’oeil ? Enchaina-t-il. Vous y voyez encore quelque chose ?
— Un peu ... L’interface visuelle doit sûrement compenser, mais elle n’indique rien de précis.
— Si elle n’indique rien, c’est peut-être à cause d’un défaut de contact ?
— Probablement, déclarai-je, sans conviction.
— Je ne veux pas vous inquiéter, reprit-il, mais il y a de grandes chances pour qu’il se nécrose sous peu. Et lorsque je dis sous peu, c’est de l’ordre de la semaine, tout au plus.
— Et ... Et donc ?
— C’est très simple : soit vous faites une double greffe de tissu cutané-globe oculaire, soit vous vous faites implanter du matériel cybernétique sur tout le coté droit du visage, soit ...
— Soit quoi ? Coupai-je.
— Soit vous faites une gangrène ... et là, a priori, vous n’aurez plus qu’à prier pour ne pas trop souffrir.
Conclusion nette et sans bavure, avec cette expression malsaine sur une bouche trop large pour cet homme. C’était évident qu’il avait à gagner quelque chose dans cette histoire. Et moi, j’avais tout à perdre. Ça on, le savait tous les deux.
— Je ne vais pas vous cacher la vérité, docteur. Je suis déserteur ...
— Je savais déjà cela, coupa-t-il.
— Et je n’ai de toute façon plus aucun moyen de payer, continuai-je. Vous comme moi, on a conscience que je ne pourrais même pas espérer une dose de morphine supplémentaire.
— Qui parle d’argent, mon « cher » major ?
— La réalité, docteur. Je ne pense pas que le bénévolat envers quelqu’un de mon genre soit votre fond de commerce.
— Eh bien ... Commença-t-il. Il y a des facilités de paiement. Des services en échange, sur fond de contrat moral.
— Quel genre de contrat ?
— Le genre qui vous fera sûrement hérisser le poil ... Mais bon, comme vous m’avez l’air d’être quelqu’un de trop droit pour toucher à ce genre de choses ...
Il sortit un bloc de post-it, un stylo, et nota en lettres capitales le mot « PARAMILITAIRES ».
— Vous chapeautez ce genre d’activité ?
— Pas directement, pour rester généraliste. Disons que j’en suis actionnaire ... C’est une activité très lucrative, vous savez.
Nous parlions de trahison, la pire chose que je puisse imaginer, avec une insolente simplicité. Le concept que la morale militaire m’avait toujours brandi comme la pire des fautes, le plus grave des péchés. Et malgré cela, je me faisais de plus en plus facilement à l’idée de transgresser cette règle absolue.
— Concrètement, je me fais soigner en échange d’un contrat dans ce genre de « business ».
— Un paiement en nature par avance serait plus exact.
Je hochai la tête, à peine convaincu du bien-fondé d’un tel procédé. Mais la réalité n’allait de toute évidence pas me laisser le choix. J’étais fauché, recherché comme déserteur avec ma tête probablement mise à prix, et une belle infection menaçant de m’achever dans le mois. L’évidence, désagréable conclusion qui me laissait bien trop souvent un goût amer dans la bouche ces derniers temps.
— Eh bien ... Je suis d’accord, conclus-je.
— Bien !
Un sourire pourri révéla des dents carnassières. Il m’attrapa la main, tout aussi mollement, sans cesser d’afficher cette insupportable expression satisfaite.
— La procédure est très simple, major. Vous n’aurez qu’à suivre les trois étapes.

Le Corbeau ne révélait jamais son prénom. Parfois, les interventions tournaient mal, et il connaissait pas mal « d’actionnaires » retrouvés une balle dans la tête pour avoir été trop imprudent avec leurs clients. Mais le Corbeau restait un très bon organisateur. Deux heures après avoir signé ce qui ressemblait davantage à une reddition sans condition plutôt qu’à un contrat moral, trois paras vinrent me chercher, me firent monter dans une improbable aérovoiture bricolée qui pétaradait dangereusement, et nous filions dans des rues obscures. Le trajet fut interrompu une bonne dizaine de fois, pour des causes qui me restèrent inconnues. Ces salauds avaient un brouilleur intégré sur le véhicule, ce qui m’empêchait de localiser le trajet.
Je fus pris au dépourvu lorsque nous arrivâmes à destination. Mes gentils accompagnateurs ne jugèrent pas nécessaire de m’informer, et je restai une paire de minutes dans la voiture. L’un d’entre eux eut néanmoins l’intelligence de revenir. Sa réponse ne se dessina qu’en un regard noir et insistant, auquel je préférai ne pas répondre.
Mon interface aurait dû s’agiter frénétiquement dès que nous nous étions éloignés de l’aérovoiture, mais je la laissai en veille, de peur d’être détecté.
Un imposant bloc de béton écrasait le paysage, face à nous. Seule une entrée semblait avoir été ménagée dans sa base, barrée par d’imposantes structures métalliques. En m’ approchant, je pus constater que le bâtiment avait dû être un immeuble d’habitation, dont on avait pris soin de murer absolument toutes les issues, et dont les murs avaient été recouverts d’un béton expansé de mauvaise qualité. De toute évidence, c’était un QG paramilitaire, ou quelque chose dans le genre.
Un canon se ficha contre mon cou. Le contact désagréable du chrome poli me fit avancer, toujours accompagné de ce silence évocateur. Quelques pas, ainsi, sous la lumière trop rare d’une lune glacée dans l’hiver. Aucun lampadaire n’éclairait la route, et sans ma vision augmentée, j’aurais vraisemblablement trébuché sur le sol irrégulier.
Une forme vaguement humaine se profila dans la large ouverture au bas de l’immeuble. La forme s’anima à notre approche, dissimulée dans une pénombre collante. Quelques lueurs naissaient là où devait se trouver un oeil, là ou aurait dû s’en trouver un tout au moins. Lorsque nous fûmes arrivés à sa hauteur, la silhouette se révéla être un cyborg au visage dévoré par un acier rutilant. Et les diodes n’étaient que des dispositifs visuels palliant un oeil inexistant.
Nous nous dévisageâmes, un court instant. Tellement semblables et pourtant si différents à ce moment précis. J’étais encore l’étranger, celui à qui les rouages du système étaient totalement inconnus. Les trois paras, en treillis réglementaire, vinrent couper court à notre étrange rencontre. La porte, la lourde porte blindée qui fermait le lieu comme un coffre-fort, chuinta et nous laissa pénétrer au coeur du trésor qu’elle verrouillait.
La lumière tamisée, qui descendait d’un ciel de plafond gris anthracite, semblait n’avoir qu’un but purement fonctionnel. Pourtant, à y regarder de plus près, les éclats blafards jouaient sur le dallage, béton ciré aux reflets beiges résonnant sous le choc sec de nos pas pressés.
Le canon me dirigea vers le fond de ce cube de vide aux proportions écrasantes, où plusieurs portes sans aucun signe distinctif s’étalaient sur un mur tout aussi neutre. L’un des paras frappa à l’une d’elles, la seconde en partant de la gauche. On lui ouvrit, sans rien dire. J’avais le vague pressentiment que ma venue était à moitié attendue. Ma réponse ne tarda pas arriver.
— Major Dernaz ? Demanda une voix masculine abimée par le tabac.
— Lui-même, répliquai-je sans joie.
Un homme d’une cinquantaine d’années se présenta face à moi, l’air contrit. Un fusil d’assaut en main, canon vers le bas. Il emmancha le tube d’acier, le brandissant à une telle vitesse que rien n’aurait pu l’arrêter. Le coup de crosse qu’il m’administra fut puissant, mais il ne me déstabilisa pas. Il me dévisagea avec arrogance, avant de m’adresser la parole.
— Les traitres n’ont pas leur place ici.
— Je ne suis pas un traitre, ripostai-je.
— Les traitres n’ont rien à faire chez moi, continua-t-il. Pourquoi devrais-je faire une exception ?
Un des soldats s’approcha de lui, se collant à son oreille. Il lui murmura quelque chose d’apparemment efficace, car son regard changea, dérivant de la haine à l’assentiment contenu.
— Il semblerait que la vérité soit moins claire que je ne le pensais, avoua-t-il. Soit, cela ne change en rien le fond du problème.
Il me fit signe de pivoter, et m’agrippa la mâchoire d’un geste brusque.
— La blessure est profonde, enchaina-t-il. C’est même étonnant qu’elle ne soit pas plus sale que ça ... Votre interface médicale est sacrément solide pour vous avoir conservé en si bon état.
Je n’osai rien répondre.
— Le Corbeau est un bien curieux menteur ... Pour une plaie propre, je la trouve salement compliquée. Pas infectée, mais trop compliquée. Je ne sais pas ce qu’il vous a raconté ... D’ailleurs, dites-moi, tout, major.
Son regard pétilla lorsqu’il lâcha ma peau meurtrie pour mieux m’observer.
— Une greffe, me contentai-je de répondre. Une greffe, ou un process bionique.
— Vous pouvez déjà oublier la greffe, mon brave, répondit-il. Les vaisseaux et les nerfs sont endommagés trop profondément pour que l’on puisse en tirer quelque chose.
— Alors ?
— Alors il ne reste plus que la cybernétisation. Rapide, bien plus efficace à long terme, surtout si on ne prend pas en compte l’impact esthétique ... Mais là n’est pas le principal.
Il m’examina à nouveau.
— Il me faudrait à peine une dizaine d’heures pour effectuer le travail. Votre ossature rentre dans la moyenne supérieure ... Je devrais avoir le matériel ici, normalement ...
Il se tut, perdu dans ses pensées, avant de se détourner vers un des paras.
— Il faudra juste un accord signé du Magister ... Pour autre chose.
— Bien sûr, mon colonel, répondit un des paras.
Mon sang se glaça lorsque j’entendis ce mot. « Colonel ». Un de ces fumiers qui m’avaient fait tout quitter. Un de ces pourris allait me sauver la vie ? Non, c’était trop cruel pour être vrai.
— Major ... Je ne sais pas si vous en avez conscience, mais votre état va nécessiter la mise en place d’un coma artificiel. L’intervention est trop longue pour vous laisser sous anesthésie locale ... Et le coma aura l’avantage de « court-circuiter » la durée de cicatrisation.
D’instinct, je reculai d’un pas. Des fusils d’assaut se braquèrent sur moi.
— Pas de coma, lâchai-je, tendu.
— Ce n’est pas une demande, major.
Deux paires de bras vinrent me maintenir contre un mur. J’aurais pu les envoyer se fracasser de l’autre côté de la salle, mais c’était sans compter sur le nombre de soldats qui auraient aussitôt rappliqué.
— Je ne fuirai pas, grondai-je à l’adresse de mes geôliers.
— Nous le savons, major, poursuivit le colonel. Simple procédure de sécurité.
Une longue aiguille transperça ma jugulaire. Le ciel de néons tourbillonna violemment, et j’oubliai tout. Encore une fois.

Commentaires

Magnus

22/07/12 à 17:53:07

Y a un Yugo qui traîne tout en bas

Max59

24/07/10 à 12:09:20

Joli chapitre, surtout le début sur la Vie.

Pseudo supprimé

14/02/10 à 23:13:28

Continues .

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